LE DILEMME DE NOS VIES
Enrique Martínez LozanoLc 16, 1-13
Quand on lit ce texte à partir du littéralisme, oubliant qu'il s'agit d'une parabole, on aboutit à des discussions stériles et irrésolubles: comment se peut-il que le "seigneur" félicite un administrateur si injuste?; est-ce que ce "seigneur" nommé, qui dans cette traduction devient «patron», désigne en fait le maître de l'employé ou le «Seigneur Jésus», comme Luc fait d'habitude?, en tout cas, "il n'en fallait pas plus pour justifier la corruption" ...
Mais la parabole ne se réfère pas du tout à la corruption, mais elle se centre sur une question radicale: "Les enfants des ténèbres sont plus avisés que les enfants de lumière."
Nous pouvons également nous tromper si nous comprenons que les uns les autres appartiennent à deux groupes de personnes, bien distincts, nous plaçant nous-mêmes – il ne manquait plus que ça! - parmi le «fils de la lumière».
En chacun, chacune de nous coexistent la lumière et l'obscurité. La parabole semble renfermer une profonde ironie, en nous confrontant à nous-mêmes et en nous demandant comment nous gérons les affaires concernant le "ténêbres" – l'égo - et ceux qui peuvent améliorer la lumière que nous sommes.
L'expérience nous apprend que, lorsque c'est notre ego qui est en jeu, nous activons des moyens, des ressources, des tactiques, des stratagèmes ..., pourvu qu'on s'en tire bien et qu'on s'assure sa survie (comme l'employé de la parabole, qui répresente, justement notre propre ego et son monde d'intérêts).
Qu'est-ce qu'il en arrive de la lumière que nous sommes? Que faisons-nous avec le meilleur de nous-mêmes? Si nous mettions autant de motivation et autant de moyens pour que notre véritable identité se manifeste et vive - semble dire Jésus -, notre monde serait bien différent.
Jésus lui-même a posé cette question avec une autre image: «Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent.» Avec ces paroles, non seulement il révèle notre tendance à déifier l'argent, mais il insiste encore sur le dilemne précédent: dans la pratique, qu'est-ce qui nous intéresse le plus?: l'argent ou Dieu?
L'"argent" est l'image de l'ego et d'une égocentrique, qui repose sur l'avoir et le gain propre.
«Dieu» est le mot qui vise vers le Mystère ultime du réel, ce qui constitue tout et nous constitue nous-mêmes.
Servir le «argent» signifie se laisser conduire par les besoins et les craintes de l'ego, dans une existence finalement pas satisfaisante, parce que l'ego est vide et insatisfaction en soi-même.
Servir "Dieu" implique reconnaître notre véritable identité, qui transcende le je (ego), et vivre à partir d'elle: c'est l'identité unique, partagée, non-duelle, à partir de laquelle nous percevons tous les êtres comme non-séparés de nous-mêmes.
La parabole de Jésus nous situe, donc, face au plus grand dilemme de notre existence, face à la seule question où nous risquons tout: Qui suis-je? D'après cette réponse, dans la pratique, que nous donnerons, nous vivrons "pour l'argent" (dans les «ténèbres») ou «pour Dieu» (dans la «lumière»).
Enrique Martínez Lozano
Traducción de María Ortega