SI LE SEL DEVIENT FADE…
José Antonio PagolaPeu d’écrits aujourd’hui peuvent ébranler le coeur des croyants aussi fortement que le petit livre de Paul Evdokimov, L’amour fou de Dieu. Avec une foi ardente et des mots de feu, le théologien de Saint-Pétersbourg met à nu notre christianisme routinier et complaisant.
C’est ainsi que P. Evdokimov voit l’époque actuelle: «Les chrétiens ont tout fait pour stériliser l’Évangile; on pourrait même dire qu’ils l’ont plongé dans un liquide neutralisant. Tout ce qui impressionne, surpasse ou renverse est étouffé. Ainsi rendue inoffensive, cette religion aplatie, prudente et raisonnable, l’homme ne peut que la vomir». D’où vient ce christianisme inopérant et étouffé?
Les critiques du théologien orthodoxe ne s’attardent pas sur des questions secondaires, mais pointent vers l’essentiel. L’Église apparaît à ses yeux non pas comme «un organisme vivant de la présence réelle du Christ», mais comme une organisation statique et «un lieu d’auto-alimentation». Les chrétiens n’ont pas le sens de la mission, et la foi chrétienne «a étrangement perdu sa qualité de levain». L’Évangile vécu par les chrétiens aujourd’hui «ne rencontre que l’indifférence totale».
Selon Evdokimov, les chrétiens ont perdu le contact avec le Dieu vivant de Jésus-Christ et se perdent dans des disquisitions doctrinales. La vérité de Dieu est confondue avec des formules dogmatiques, qui ne sont en réalité que des «icônes» nous invitant à nous ouvrir au saint Mystère de Dieu. Le christianisme se déplace vers l’extérieur et le périphérique, alors que Dieu habite dans les profondeurs.
Un christianisme au rabais et confortable est alors recherché. Comme le disait Marcel More, «les chrétiens ont trouvé le moyen de s’asseoir, on ne sait comment, confortablement sur la croix». On oublie que le christianisme «n’est pas une doctrine, mais une vie, une incarnation». Et quand la vie de Jésus ne brille plus dans l’Église, il n’y a plus guère de différence avec le monde. L’Église «devient un miroir fidèle du monde», qu’elle reconnaît comme «la chair de sa chair».
Beaucoup réagiront sans doute avec des nuances et des objections à une dénonciation aussi vigoureuse, mais il est difficile de ne pas reconnaître la vérité qu’Evdokimov pointe du doigt: l’Église manque de sainteté, de foi vivante, de contact avec Dieu. Il manque des saints qui scandalisent parce qu’ils incarnent «l’amour fou de Dieu», il manque des témoins vivants de l’évangile de Jésus-Christ.
Les pages enflammées du théologien russe ne font que rappeler celles de Jésus: «Vous êtes le sel de la terre. Mais si le sel devient fade, avec quoi allez-vous le saler? Il n’est bon à rien, sinon à être jeté et piétiné par les gens».
José Antonio Pagola
Traducteur: Carlos Orduna
Publicado en www.gruposdejesus.com