FOI ET GRATUITÉ
Enrique Martínez LozanoLc 17, 5-10
Il semble que, au début de ce chapitre, Luc a réuni des sentences, venant ou non de Jésus, qui insistaient sur certains points importants pour cette première communauté: le scandale, le pouvoir de la foi et la question de la gratuité. Dans le texte que nous lisons aujourd'hui, on recueille les deux dernières.
La première met l'accent, comme je disais, sur un sujet important pour la communauté: le pouvoir de la foi. Les exégètes doutent que ces mots datent du Jésus historique. Il pourrait s'agir, plutôt, d'un enseignement qui aurait surgi dans le milieu communautaire.
En tout cas, il semble qu'on utilise un style typiquement oriental, en présentant une exagération qui attire l'intérêt – même si elle change l'image: Matthieu ne parle pas d'un mûrier, mais d'une montagne (Mt 21,21) -, pour insister sur la force de la foi.
Notre refrain "la foi peut déplacer des montagnes" vient de cette phrase. Or, la foi dont on parle ici ne se réfère pas à une croyance ou une attitude volontariste. Elle vise, plutôt, à une certitude de celui qui "a vu" le mystère du Réel. (D'une manière similaire, les physiciens quantiques viennent nous dire que notre esprit crée la réalité, comme le souligne la conférence du cardiologue Manel Ballester: http://www.gamisassociacio.org/video/Dr-Manel-Ballester/).
Le pouvoir de cette foi échappe encore à notre compréhension habituelle, mais ça commence à être corroboré même par des expériences scientifiques, basées sur l'influence indéniable de la conscience sur la matière. Il faudra avancer dans l'étude de ces influences, mais il semble de plus en plus certain que la conscience crée la réalité. D'où que cette phrase ne soit pas exempte de raison: " Change ta manière de voir les choses et les choses que tu vois changeront".
La deuxième partie du texte que nous commentons ici est , d'abord, un peu étrange pour notre mentalité qui se révolte, à juste titre, face à toute sorte de domination. C'est pourquoi, nous avons besoin de situer ces mots dans leur contexte et nous enfoncer dans leur sens le plus profond .
Le contexte pourrait être la controverse avec les pharisiens et leur religiosité fondée sur le mérite et la récompense , comme nombreuses paraboles évangéliques l'ont souligné, en particulier celle des « ouvriers de la vigne » (Mt 20,1-16 ) .
Face à ce genre de religiosité qui se croit en droit devant Dieu comme conséquence des mérites obtenus par l '«accomplissement » de la norme, Jésus présente Dieu comme une Grâce san mesure qui déborde , en commençant par les derniers, ceux qui ne sont pas pris en compte et même considérés comme «pécheurs». Les dites " paraboles de la miséricorde " ( Lc 15) sont de magnifiques témoignages d'un changement radical de perspective présenté par le Maître de Nazareth .
Mais, même ainsi, elle sonne étrange à nos oreilles modernes l'affirmation de celui qui, après avoir accompli tout ce qui est demandé, se considère un « serviteur inutile ».
L' "étrangeté", tel que je le vois , est due au fait que nous lisons cette phrase de la perspective du je(moi), qui refuse de se sentir « dévalué » dans son image ou dans son action. De ce point de vue, l'attitude qu'on demande au serviteur est considérée comme une aliénation .
La lecture adéquate réquiert qu'on se situe à un autre lieu, à partir duquel change radicalement la perception même de l'identité propre. En résumé , on pourrait l'exprimer de cette façon : il n'existe aucun «je» qui serait sujet de rien; ce je(moi) n'est qu'une fiction mentale. Il n'existe que la Conscience qui agit à travers toutes les formes, qui ne sont que des conduits ou des canaux à travers lesquels elle coule.
Dans cette vision, tout devient clair : ça n'a pas de sens qu'un canal s'attribue ou fasse sienne l' action qui, tout simplement, passe à travers lui. S'il devait l'exprimer de quelque manière, le canal ne pourrait que dire: "je suis un serviteur inutile ".
Lue ainsi, la petite parabole de Jésus contient une sagesse profonde , parce qu'elle nous révéle le piège de l'identification avec le je – toujours appropriateur - et nous amène à notre vrai visage. Nous ne sommes pas ce je(moi) séparé que notre esprit pense , mais la Conscience ultime qui se manifeste en tout.
Dès cette lecture on comprend aussi que la gratuité soit l'un des axes centraux de l'Évangile. Tout est Grâce . "Personne" ne fait rien, tout coule , parce que tout nous est donné.
Comme Paul disait: " Qu'as-tu que tu n'aies reçu? Et si tu l'as reçu, pourquoi t'enorgueillir comme si tu ne l'avais pas reçu? " (1 Cor 4:7).
Enrique Martínez Lozano
Traducción de María Ortega